Après le massacre, lundi 6 juin, de 120 membres des forces de sécurité syrienne à Jisr al-Chughour, une riposte du gouvernement et une montée de la violence sont probables en Syrie. Celles-ci feront indéniablement le jeu du gouvernement syrien.
120 membres des forces de sécurité syriennes tués, dans des affrontements. Tel est le bilan du week-end, qui avait démarré par des manifestations pacifistes, après les prières du vendredi dans la ville de Jisr al-Chughour. Cet événement fait suite à de nombreux incidents qui, depuis le 18 Mars, ont fait 1200 morts dont 100 du côté des forces de sécurité.
Que s’est il passé à Jisr al-Chughour au juste ? Les supputations vont bon train. Selon la version gouvernementale, les forces de sécurité nationale sont intervenues pour protéger les résidents contre des centaines d’hommes armés avant d’être eux-mêmes la cible de tirs. D’autres témoins avancent plutôt qu’il s’agit d’une mutinerie des forces de sécurité. Une chose est certaine, ce massacre fournit au gouvernement Assad toutes les raisons de riposter dans le sang. Et plus la répression sera violente, plus le clan Assad a de chances de se maintenir au pouvoir.
Une cohésion renforcée du clan Assad sous la pression de la rue
Le régime syrien continuera à utiliser la force la plus brutale pour endiguer le mouvement démocratique. La raison en est simple, explique Andrew Tabler, du Washington Institute pour le Proche Orient: « au cœur du régime, il y a les services secrets et le clan de la famille Assad. Or tous sont unis pour poursuivre cette stratégie ».
Bien que moins nombreuse que celle du leader libyen, la famille Al-Assad partage avec Bachar, les rênes du pouvoir. Son plus jeune frère, Maher, a été placé aux commandes de la garde présidentielle, une unité violente qui est considérée comme étant directement responsable des répressions dans le sud de la ville de Deraa, berceau de l’insurrection. Le Président a aussi fait nommer son beau frère, Asef Shawkat, un militaire, à la tête de la Military Intelligence.
Cependant, à l’ère d’internet et des satellites, le jeune Assad ne pourra impunément reproduire ce que son père, Hafez al-Assad, avait accompli, à Hama, en 1982, lorsqu’il avait utilisé l’armée et l’artillerie pour massacrer plus de 10 000 insurgés islamistes, ce qui lui avait permis de se maintenir au pouvoir, deux décennies supplémentaires, jusqu'à sa mort.
Des facteurs qui compliquent la crise syrienne
Premièrement le Président Assad a des soutiens dans tous les segments de la société syrienne, très inquiets de la recrudescence de la violence. D’autant que la télévision nationale diffuse constamment des images de rixes de rues, laissant entendre que ce sont les manifestants qui tirent sur les forces de sécurité d’Etat. Ainsi elle rapporte une toute autre version de la réalité illustrant son rôle de propagande qui sert le régime.
Inquietés par les risques de guerre civile, même les Syriens qui souhaitent voir des réformes, préfèrent que ce soit le Président Assad qui les mette en œuvre. La société syrienne est en effet composée d’une multitude de confessions : 75% de Sunnites; 10% de Chrétiens, 3% de Druzes and 3% de Chiites, la plupart Alawites comme le Président et son clan. Même les pro- réformateurs sont dubitatifs quant à la Syrie post al-Assad. D’autant qu’en l’absence d’une opposition claire et qui unit les rivaux des communautés politiques, religieuses et ethniques on peut craindre que le pays ne sombre dans le chaos.
Contrairement à l’Egypte, il existe en Syrie, une symbiose totale entre l’armée et le régime. Le chef des armées est non seulement un parent du Président, l’armée est aussi en grande majorité composée d’Alawites qui feront tout pour se maintenir au pouvoir et conserver leurs privilèges. Ainsi, même si l’on entend ça et là des défections, les commandes militaires semblent solidement amarrées au régime.
Une riposte internationale entravée.
Sur le plan géopolitique, la Syrie est une puissance régionale et le chaos interne aurait des conséquences dévastatrices sur la politique étrangère notamment au Liban et en Israël. L’Etat hébreu a toujours considéré la Syrie sous le clan Assad comme un ennemi avec lequel on peut traiter, meme si, ces jours derniers, des rixes sur les hauteurs du Golan ont fait de nombreux morts. La Syrie entretient aussi des liens étroits avec le pouvoir Chiite, en Iran, ce qui pourrait potentiellement entrainer les puissances occidentales dans un conflit militaire au Moyen-Orient que tous les acteurs préfèrent éviter.
Dans une telle configuration, il est clair que, les Etats européens et américains ne souhaitent pas aller au delà des recommandations de l’ONU et des sanctions qu’ils ont tout récemment ont mis en place contre un certain nombre de figures politiques importantes y compris, le 18 mai 2011, à l’encontre du Président lui-même, l’accusant d’abus des droits de l’Homme. Cependant, il n’est pas certain qu’elles portent leurs fruits comme l’expliquait récemment, l’expert de l’institut, Chatham House, Nadim Shehadi, au Financial Times; « d’autant que les comptes en bancaires de la famille Assad ne sont pas à la Chase Manhattan Bank ou bien à la Barclays ».
La France se dit prête à demander au Conseil de Sécurité de l’ONU de voter une résolution condamnant Damas, malgré un veto possible de la Russie. En visite à Washington, Alain Juppé, Ministre des Affaires Etrangères a déclaré que Paris aurait le soutien de 15 membres du Conseil et parviendrait peut être à convaincre la Russie de changer d’avis.
Malgré la possibilité d’une condamnation de l’ONU, l’administration Obama, comme l’Union Européenne, ne dispose pas de leviers majeurs pouvant influencer le régime. D’autant que l’intervention en Libye qui stagne, a récemment nécessité l’appui d’hélicoptères britanniques et français pour influencer l’issue du conflit, démontrant les limites du principe d’ubiquité de l’intervention internationale. Enfin, l’intervention en Syrie n’aurait pas l’aval de la ligue arabe qui reste étrangement silencieuse sur le dossier syrien.
par
Brigitte Ades
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